J. Jung (dir.): Einigkeit, Freiheit, Menschlichkeit

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Titel
Einigkeit, Freiheit, Menschlichkeit. Guillaume Henri Dufour als General, Ingenieur, Kartograf und Politiker


Herausgeber
Jung, Joseph
Erschienen
Basel 2022: NZZ Libro
Anzahl Seiten
416 S.
von
Olivier Meuwly

Non que les études consacrées à Dufour soient totalement absentes. Il en existe de qualité, de rares biographies, comme celle due à Jean-Jacques Langendorf mais maintenant assez ancienne, et surtout de nombreuses études plus spécifiques, dédiées à un aspect ou un autre de la riche activité du célèbre général. Il manque toutefois encore la grande biographie qui rendrait compte de la personnalité et de l’action du Genevois dans toute son ampleur et sa complexité. Le livre dirigé par Joseph Jung ne comble certes pas cette lacune, de l’aveu même du maître d’œuvre de l’opération. Néanmoins, indiscutablement, l’ouvrage constitue une étape importante dans la connaissance de ce personnage si fascinant par ses centres d’intérêt multiples et par sa capacité à investir, avec une humilité rare, ses talents dans les causes qui lui semblent justes.

Le Henri Dufour de Joseph Jung possède les qualités et les défauts des ouvrages collectifs. Ce qu’il perd en vue d’ensemble et en contextualisation globale, il le gagne par les approches parfois très pointues qu’il propose des nombreuses facettes du vainqueur du Sonderbund. Clemens Fässler retrace les éléments essentiels de la vie publique et privée de Dufour. Le général a toujours été très attaché à sa famille, comme l’atteste l’intense correspondance entretenue avec sa femme et ses enfants. Georges Bindschedler évoque le Dufour ingénieur, mû par une vive curiosité intellectuelle et par son irrépressible goût des réalisations concrètes. Hans-Uli Feldmann réserve un gros chapitre au Dufour cartographe, patron par ses fonctions militaires des travaux topographiques nationaux qui déboucheront sur une vision cartographique de la Suisse louée au-delà des frontières de notre pays.

Christoph A. Schaltegger, Thomas M. Studer et Michael Arnold relatent le contexte de la fin de la Régénération helvétique, les événements qui mèneront au Sonderbund ainsi que les conséquences immédiates de cette guerre fratricide. Peter Candidus Stocker, Ulrich F. Zwygart et Walter Troxler s’intéressent au Dufour soldat, à son activité de chef suprême des forces de la Diète durant le conflit, à ses méthodes de commandement. Enfin, Joseph Jung, connu pour ses travaux sur Alfred Escher, raconte Dufour comme référence morale et icône militaire incontestée de la jeune Confédération, alors aux prises avec un environnement international hostile. Jung suit son héros au fil des mobilisations qu’il aura à piloter, dans un contexte difficile où le Conseil fédéral est pris entre plusieurs feux. Il doit manœuvrer entre, d’une part, des puissances sorties indemnes du Printemps des peuples de 1848 et prêtes à en découdre avec cette Helvétie si généreuse avec les révolutionnaires de toute l’Europe et, d’autre part, l’aile gauche radicale qui voudrait que la Suisse vole au secours de toutes les révolutions qui balaient le continent. Il termine ce passionnant parcours «dufourien» en présentant comment son humanité foncière s’épanouira dans son labeur en faveur de la création du CICR.

Ce riche voyage permet au lecteur d’entrer de plain-pied dans une tranche cruciale de l’histoire de la Suisse, d’où émerge cette figure à la fois paternelle et médiatrice de l’Helvétie nouvelle née en 1848. Elle avait besoin d’un homme tel que lui pour éviter que la guerre civile de l’année précédente ne dégénère en un bain de sang qui aurait affaibli durablement le pays et conduit à son absorption, ou du moins à sa mise sous tutelle, par les puissances alentour. Sans doute Dufour, comme le montrent les auteurs, a-t-il eu de la chance. C’est de peu qu’il échappe au naufrage de son bateau près de Corfou où il sert Napoléon qu’il admirera toute sa vie; la guerre du Sonderbund ne pouvait militairement être perdue du fait de la faiblesse du commandement des sécessionnistes et de la dispersion de leurs forces; son respect pour l’empereur qu’il reportera parfois hâtivement sur son neveu aurait pu nuire grandement à sa carrière; il fut également heureux que l’affaire de Neuchâtel, cause d’une guerre possible contre la Prusse en 1857, se soit arrêtée sur le tapis vert diplomatique tant ses erreurs de jugement, déjà relevées par Langendorf, auraient pu être fatales.

Malgré cela, et Jung a raison d’insister sur ce point, l’examen de l’action de Dufour ne peut se limiter à une mise en exergue de ses éventuelles carences. Auteur prolixe, Dufour n’est pas un théoricien, mais un homme du terrain. Il construit des ponts, pense le réseau de chemin de fer (un sujet qui aurait pu être davantage développé dans l’étude), conduit des troupes, dirige la confection de la carte de la Suisse. Le tout au service de la patrie, auquel il se dévoue corps et âme. Il livre ses états d’âme à sa correspondance et ses écrits militaires n’ont pas vocation à révolutionner la pensée stratégique de son temps. Ils doivent plutôt être lus comme les supports de cours dont il avait besoin pour son travail d’instructeur à l’école militaire de Thoune. La personnalité de Dufour se résume sans doute dans son métier d’enseignant, qui le passionne. Et c’est en maître soucieux de ses élèves et de ses interlocuteurs qu’il commande l’armée suisse, qu’il impose sa manière douce et humble dans le commerce avec l’adversaire; c’est dans cette tâche que son humanité se révèle pleinement.

Cet ouvrage sur Dufour, s’il aurait pu explorer davantage les différents réseaux qui se constituent autour de sa personnalité rayonnante, ne glane en outre pas ses mérites par sa seule focalisation sur celui qui a donné son nom au plus haut sommet de Suisse. Il constitue aussi une contribution des plus intéressantes à la connaissance des débuts de la Confédération et du dur apprentissage auquel furent soumis les premiers conseillers fédéraux, tous de remarquables hommes d’État cantonaux en train de découvrir les froides réalités de la politique internationale. Dans ce sens, le livre s’érige en complément utile aux travaux récents d’Urs Altermatt sur l’histoire du Conseil fédéral. Oui, nos premiers «sages» n’ont pas toujours montré, et c’est un euphémisme, une maîtrise totale de leurs dossiers et des enjeux internationaux, demeurant prisonniers des parfois picrocholines querelles locales. Ils ont trop souvent dévoilé un amateurisme troublant, peinant à coordonner leurs bonnes volontés, ce qui aurait pu avoir de fâcheuses conséquences.

On pourra trouver excessivement sévère le réquisitoire que Joseph Jung lance, dans son chapitre, au Conseil fédéral d’alors. Un réquisitoire auquel n’échappe d’ailleurs pas toujours, à juste titre, Dufour. Mais les radicaux au pouvoir, que l’auteur glisse dans le même sac idéologique alors que d’importantes nuances les séparent, apparaissent, au mieux, comme incompétents, ou, au pire, comme d’aventureux va-t’en guerre. Ce n’est pas tout faux pour Stämpfli mais, justement, le système confédéral bride les personnalités composant le collège et empêche qu’elles nuisent, individuellement, à l’action gouvernementale. Seul semble surgir du néant Escher: sans nier ses mérites, il convient tout de même de rappeler qu’il a toujours préféré rester prudemment en dehors des affres gouvernementales, pour mieux les observer de son piédestal du Nord-Ost-Bahn … Manifestement, Joseph Jung n’apprécie guère ces radicaux peuplant le premier Conseil fédéral, au point de commettre une petite erreur. Ainsi Druey se voit étiqueté de franc-maçon, ce qui n’a jamais pu être prouvé. Il était membre de la Burschenschaft durant ses études en Allemagne et s’est toujours largement épanché, dans ses écrits intimes et sa correspondance, sur sa vie et ses sentiments: s’il avait été «initié», nul doute qu’il l’aurait écrit quelque part …

Ces dernières remarques confirment l’importance du livre dirigé par Joseph Jung: l’histoire des premiers temps de la Confédération née en 1848 peut encore être soumise à des interprétations nombreuses et variées et recèle encore moult mystères que des études du type de l’ouvrage analysé ici contribuent à percer. Quantité de conseillers fédéraux et autres hauts personnages de la Confédération attendent encore leur biographe: puisse cette étude multidisciplinaire, à l’image de Dufour lui-même, aiguillonner les vocations! Dufour a toujours refusé la politique politicienne, il n’a accepté ses élections que par devoir. Sur ce point, le mot «Politiker» dans le titre n’est pas forcément adéquat. En revanche, et cela ressort du livre de Jung et son équipe, Dufour a transcendé la politique, en la servant au nom d’intérêts qu’il jugeait supérieurs. Il a gagné «politiquement» le Sonderbund. Son «humanité» n’en ressort que mieux: que ce mot apparaisse dans le titre est, cette fois, pleinement justifié!

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Jung, Joseph (dir.): Einigkeit, Freiheit, Menschlichkeit. Guillaume Henri Dufour als General, Ingenieur, Kartogaf und Politiker, Bâle 2022. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(2), 2023, S. 214-216. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00127>.

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